Article publié dans le journal La croix par Agnès AUSCHITZKA
A peine l’enfant a-t-il montré son bout du nez que déjà ses parents s’ingénient à le célébrer…
Pour fêter sa naissance ou son baptême, le voilà à l’honneur au centre de réjouissances. Roi de la fête familiale, il le sera encore bien des fois, à l’occasion de ses anniversaires, de ses conquêtes, de ses prouesses ou de ses retours au bercail.
Autant de prétextes, pour qu’en chansons ou en musique, ceux qui l’ont mis au monde lui témoignent une attention toute particulière. Ainsi, chaque parent peut compter un nombre imposant de gâteaux fabriqués, de cadeaux choisis avec application, de bougies soufflées, de vœux de bonheur et de réussite formulés à l’intention de ses petits et grands chéris ! Fêter ses enfants, les réjouir, les gratifier, n’est-ce pas une attitude normale pour qui aime ses enfants ?
« Dans le système familial, les parents sont placés spontanément du côté du don, de la générosité et de la bienveillance, rappelle Nicole Prieur, philosophe et psychothérapeute (1). Et même s’ils savent aussi gratifier leurs parents par leurs sourires et leur affection, les enfants sont quant à eux fondamentalement placés du côté de la dette. »Alors, quand, pour une fois, pour un jour, la place des uns et des autres s’inverse, quand, parce qu’ils l’ont décidé, les enfants font de leurs parents, les héros de la fête, c’est un peu la révolution à la maison.
Être mis à l’honneur par ses enfants étonne, surprend toujours ceux qui trouvent habituellement leur bonheur dans celui qu’ils procurent à leurs enfants.
Ainsi, Sophie Rapeneau raconte comment elle fut bouleversée par l’anniversaire que ses deux fils (14 ans et 16 ans) lui ont concocté, avec la complicité de leur père : « Bien sûr, comme d’autres, j’avais déjà à mon actif un certain nombre de « fêtes des mères ». Mais là, c’étaient mes enfants, les miens seuls qui me fêtaient, qui fêtaient leur unique mère, dit-elle. C’était incroyable, je ne m’attendais pas à cela de leur part. »Fêter l’anniversaire fait exister la familleRien de formel, d’obligatoire, de conventionnel dans ces fêtes privées qu’organisent les enfants pour leurs parents. Cette libre spontanéité leur donne d’ailleurs un prix inestimable. « En organisant mon anniversaire, dit encore Sophie, mes enfants me donnaient la preuve que je comptais vraiment pour eux, qu’ils voulaient que je sois heureuse, bref qu’ils m’aimaient comme moi aussi je les aime. Du pur gratuit comme il y en a peu ! »
Si, comme le souligne Martine Segalen, ethnologue et auteur de Rites et rituels contemporains (2), « c’est en fêtant l’anniversaire des naissances, des alliances, des réussites de leurs enfants que les parents font exister la famille », en célébrant leurs parents, les enfants font exister le lien qui les attache à eux. Sorte de signe de reconnaissance adressé à ceux qui leur ont transmis la vie.
Quel que soit le prétexte retenu – anniversaire, noces d’argent ou d’or –, quelle que soit l’ampleur des fastes pour l’exprimer, cette reconnaissance filiale a des effets bienfaisants et appréciables. « Dans un contexte où les liens familiaux sont fragilisés par la complexité de la vie moderne, par les galères des uns et des autres, les positionnements plus ou moins flous, explique Franck Larchet, psychologue, thérapeute familial et animateur en aumônerie, les parents sont heureux de constater que le fil qui les relie à leurs enfants « tient » bien, que, malgré les aléas de la vie, le courant passe toujours entre eux et leur progéniture. »
Parmi les aléas de la vie familiale, il y a les inévitables conflits, tensions ou fâcheries qui égratignent les relations. « Dans ce cas, note Franck Larchet, organiser une fête pour ses parents, devient le signe d’une volonté d’apaisement, voire de réconciliation. » Ce fut le cas, tout récemment, pour Pierre et Marine, 70 ans et 69 ans dont les trois enfants ont organisé avec leurs conjoints, leurs enfants et « des amis des parents », leur 40e anniversaire de mariage. Pierre et Marine reconnaissent qu’au fil des ans et d’événements difficiles, les incompréhensions, les rancœurs, les reproches s’étaient accumulés entre eux et certains de leurs enfants. La solidarité, l’unité familiale tant désirée, manquait à l’appel. « Au point, disent-ils, que nous avions décidé de ne plus réunir nos enfants et nos petits-enfants à Noël. Tout était devenu superficiel, plus rien de vrai ni de profond ne passait. On parlait de la pluie et du beau temps, c’est tout, et cela nous rendait encore plus malheureux. »
C’est leur fille aînée qui a eu l’idée d’une fête « pour eux » et en a convaincu ses deux frères : « Entre nous, avoue Solen, ce n’était pas le grand amour, non plus, mais j’ai tenté et ça a marché. En fait, quand on prépare une fête pour ses parents, on cherche d’abord à leur faire plaisir et on pense à leurs qualités, à ce qu’ils nous ont donné de positif, en l’occurrence on a « réalisé » la qualité de l’amour qu’ils se portent mutuellement – et du coup, on oublie les défauts ou les failles. Dans ces fêtes, il y a quelque chose de magique qui fait du bien à tout le monde. »
Exprimer sa gratitude aux parents très âgésQuand la fête honore un parent très âgé, en bonne santé mentale, la gratitude triomphe. En témoigne Chantal Rioux, 58 ans : « J’ai perdu mon mari qui était fils unique, il y a trois ans. Ma belle-mère, elle-même veuve depuis très longtemps, vit dans une maison de retraite. Pour ses 95 ans, j’ai voulu profiter de ce qu’elle se porte encore bien pour lui offrir, avec mes enfants et mes petits enfants une très belle fête. Je l’ai pensée comme un bouquet de remerciements sous la forme de poèmes, de textes, de chansons, de photos. Ce fut une journée très douce. J’avais conscience de lui donner le cadeau dont elle a le plus besoin pour accompagner ses dernières années avec nous : la certitude qu’elle avait transmis beaucoup de bonnes choses à ses enfants et petits-enfants. »Pour ces rendez-vous exceptionnels, les organisateurs déploient souvent une grande créativité et pas moins d’ingéniosité.
La sélection des invités et la recherche discrète de leurs coordonnées, le choix d’un lieu, l’idée d’un cadeau collectif, l’animation etc., rien n’arrête des enfants qui ont décidé de faire plaisir à leurs parents. D’autant qu’aujourd’hui, ils peuvent compter nuit et jour sur l’aide efficace de l’assistant Internet.
Un clic, voilà leur mère, pourtant déjà grand-mère, posant en barboteuse sur un carton informatique ! Et deux clics, cette jolie petite fille invite sans le savoir, ses nombreux amis à venir souffler avec elle ses soixante bougies dans une guinguette au bord de la Marne ! Et même lorsque le projet est plus modeste, l’imagination des enfants fait aussi des merveilles.
Gisèle Soulier qui vient de fêter ses 70 ans, entourée de ses deux fils, son petit-fils et ses deux frères aînés célibataires : « Grâce à l’ordinateur, mes enfants ont fabriqué un album animé par des photos ou dessins scannés reprenant 70 bons moments passés avec moi depuis leur enfance. Il y en avait de toutes sortes, certains drôles, d’autres émouvants, c’était merveilleux de voir cette mosaïque vivante et colorée sur l’écran. Et bien sûr, ils ont imprimé l’album et, depuis, je le regarde en me remémorant cette journée délicieuse. »
je t’aime maman de tous mon coeur